Dans le grand cirque des relations humaines, il existe un exercice d’équilibre particulièrement absurde : l’injonction paradoxale. Imaginez la scène d’un couple en pleine dispute où l’un des deux finit par dire :
“Calme-toi, ce n’est pas la peine de t’énerver comme ça”
Autant aller droit dans le mur, n’est-ce pas ? Demander à quelqu’un de maîtriser sa colère tout en le rendant encore plus furieux. C’est comme mettre de l’huile sur le feu en criant “Pas de flammes !” Le résultat ? Une impossibilité émotionnelle garantie où la personne qui reçoit l’ordre se sent à la fois invalidée dans son émotion et sommée de l’anéantir instantanément : autant mettre fin à la discussion tout de suite puisque la compréhension mutuelle devient impossible.
La double contrainte : un piège émotionnel dangereux
Dans un contexte médical, ce mécanisme devient encore plus insidieux. Demander à un enfant de “ne pas avoir peur” pendant les soins crée une équation émotionnelle impossible. La peur est présente, bien réelle, et l’injonction de la faire disparaître devient elle-même source d’une nouvelle angoisse.
C’est comme demander à quelqu’un :
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De rester naturel sous la pression
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De se détendre face à un stress
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D’avoir confiance sans donner de signaux rassurants
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D’arrêter d’être triste comme si, par magie, la personne allait se taper le front en disant “Oh, mais bien sûr, j’ai oublié de ne pas être tiste!
L’enfant se retrouve dans une position d’échec programmé. Il ne peut réussir la mission impossible qui lui est confiée, ce qui génère un sentiment d’incompétence et de frustration et fragilise la relation avec la personne qui s’occupe de lui.
L’impact relationnel désastreux
Ces injonctions créent une rupture de communication. L’enfant (ou l’adulte) se sent incompris, invalidé dans son expérience émotionnelle et jugé pour ce qu’il ressent naturellement.
Dans la relation de soins, cette situation est encore plus critique. Le patient peut développer des mécanismes de défense tels que la dissimulation des émotions, la méfiance à l’égard du soignant, la mise à distance, ainsi qu’une anticipation négative des soins à venir.
Les conséquences sont, au-delà d’une expérience désagréable et invalidante sur le moment, le risque d’éviter ou de retarder les soins lorsqu’ils seront à nouveau nécessaires, et au moment des soins, une plus grande appréhension qui les rendra plus compliqués.
Il existe des alternatives
Au lieu de “N’ait pas peur“, imaginez :
“Je vois que tu à l’air d’être inquiet. C’est normal et courageux de le reconnaître. Ensemble, on va surmonter ce moment.”
Ou encore, ma combinaison préférée :“Je peux ta rassurer […] ”
Il est important d’apporter un élément concret et tangible après l’idée de rassurer. Souvent, le fait de rediriger l’enfant vers une base sécurisante (présence parentale, possibilité de faire un câlin à un ours en peluche, perspective d’un retour rapide à l’autonomie, présence rassurante d’un intervenant de référence) est un excellent moyen de recentrer son attention sur un élément positif qui l’aide à mieux s’autoréguler.
Une autre possibilité est de répondre à leur peur lorsque celle-ci est clairement exprimée : “Je peux te rassurer, grâce à la crème que je vais mettre sur ton front, ce sera facile et confortable de réparer ce qui t’est arrivé”. Remarquez l’utilisation de mots facilitateurs (confortable, facile) et la transformation de suture ou couture par “réparer” pour éviter la connotation négative de l’aiguille qui recoud.
Bien entendu, comme pour toute tentative de rassurer un enfant, restez attentifs à ne pas nous focaliser sur les éléments négatifs (ça ne fera pas mal) ou à ne pas projeter nos propres peurs sur l’enfant (tu verras, ça ne brûlera pas).
Au lieu de “Détends-toi“, préférez :
“Tu peux détendre ton bras. Je vais m’occuper de faire mon travail, et tu peux regarder ailleurs si tu préfères“.
Le fait de formuler une demande réaliste et de se concentrer sur une zone limitée du corps peut aider l’enfant à ne pas se sentir gêné par une tension musculaire excessive et à atteindre l’objectif de relaxation. Une fois encore, le fait de fournir un cadre utile (la séparation entre mon travail / ton travail pendant le soin) contribue également au sentiment d’autonomisation.
Au lieu de “Arrête de pleurer”, optez pour :
“Je vois que tu ressens beaucoup d’émotions. C’est normal, et je t’écoute.”
Honnêtement? Cette phrase n’a même pas besoin d’être décortiquée. Demander à un enfant d’arrêter de pleurer ne devrait plus exister depuis les années 1980, tellement la demande est absurde.
Conclusion
Accompagner un enfant dans un moment de soin, c’est avant tout l’art d’être présent, d’écouter et de guider avec bienveillance. Le langage n’est pas seulement un outil de communication, c’est un vecteur d’apaisement et de réconfort.
Chaque mot compte. Chaque phrase peut soit ajouter de la tension, soit créer un espace de sécurité émotionnelle.
Car finalement, reconnaître l’émotion, c’est déjà faire le premier pas pour la transformer.